Nous y sommes. Cette saison 1997-1998 va offrir son dénouement ce samedi 9 mai. Ils sont deux prétendants au titre. Le Racing, leader avec 67 points et le FC Metz et ses 65 points. Un simple match nul permettrait aux Lensois de s’emparer du trophée de champion pour la première fois de leur histoire dans l’élite. À l’inverse, une défaite et une victoire messine propulseraient les Lorrains sur le trône du championnat. Cette 34e journée face à l’AJ Auxerre intervient alors comme l’aboutissement d’une montée en puissance.
Publié le 09/05/2022 à 7h00
L’apogée ! Il y a 24 ans, le Racing arrachait le premier titre de Champion de France de son histoire au terme d’un match âpre et irrespirable sur la pelouse d’Auxerre. En filigrane de ce sacre, il y a le triomphe d’un groupe de copains et d’un entraîneur à l’état d’esprit irréprochable. Retour sur une journée mémorable, apothéose d’une saison hors norme.
« On avait mal débuté la saison. » Avec du recul, Éric Sikora livre une analyse lucide sur la campagne des Sang et Or. « Mais quand on s’est lancés, on a su être réguliers pour arriver confiants à Auxerre avec une série de victoires derrière nous (ndlr : 7 consécutives). » En 33 rencontres, un groupe « spécial » s’est formé selon les dires du latéral droit. Un savant mélange d’une génération formée au club (Wallemme, Magnier, Déhu, Brunel, Sikora), à laquelle se sont ajoutées de nouvelles pièces.
Stéphane Ziani en fait partie. Le Nantais d’origine s’est tout de suite acclimaté. « Ils avaient ce côté très fédérateur et authentique. Les valeurs du club se reflétaient en eux. Cette mentalité a permis de souder tout le monde sur et en dehors du terrain. »
Alors la bande de potes monte en régime et trouve des automatismes. Cela ne l’empêche pas de stagner autour de la 5e place pendant un moment, notamment à cause de quelques irrégularités à l’extérieur. Mais lors du sprint final, une rencontre va changer la face de cette formation. « La victoire à Metz est un vrai déclic » selon Stéphane Ziani. Lors de la 30e journée, les Lensois tapent un grand coup en s’imposant 2-0 chez le leader. « Ce jour-là dans les vestiaires, Daniel Leclercq nous a demandé : « Est-ce que vous voulez être champions ? » raconte Cyrille Magnier dans un documentaire réalisé par le club pour les 20 ans du titre.
C’est le match de la bascule. Le Racing devient leader et se présente comme tel lors de la dernière journée.
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Nous y sommes pour de bon. Le stade de l’Abbé-Deschamps accueille près de 20 000 supporters dont plus de 2 000 Lensois prêts à vivre une page de l’histoire du club. Face aux hommes du Druide, une équipe de l’AJ Auxerre revancharde après avoir été sèchement battue par ces mêmes Artésiens lors de la première journée (3-0). Surtout, la formation coachée par le légendaire Guy Roux est encore en course pour l’Europe (6e). Son effectif présente en ses attaquants, deux futurs champions du monde : Stéphane Guivarc’h et Bernard Diomède. Le décor est planté.
Alors que l’enjeu est historique, dans les vestiaires, les sentiments sont partagés. « On était sereins. » se souvient Siko’. « On savait que tous nos efforts allaient payer. » De la sérénité chez certains, un peu de pression et de méfiance chez les autres. « C’était quand même un peu tendu, » admet Stéphane Ziani. « On était très concentrés mais on avait la pression. On ne voulait pas échouer, surtout après la défaite en finale de la Coupe de France une semaine plus tôt (ndlr : 2-1 face au PSG). »
Mais les Artésiens jouent la bonne partition d’entrée de jeu. « Ça se passe presque trop bien ! » s’amuse Daniel Leclercq dans le documentaire. Et dès la 10e minute, la situation se débloque. Stéphane Ziani provoque Franck Sylvestre balle au pied, côté gauche. D’un crochet, il s’ouvre un espace et sert Vladimir Smicer, seul devant la cage. L’attaquant pense ouvrir le score mais le drapeau se lève pour une position de hors-jeu. Un but refusé, certes, mais c’est un premier symptôme de la domination artésienne.
Malheureusement, les locaux vont transformer une de leur seule fulgurance, quelques instants plus tard, grâce à une frappe puissante à l’entrée de la surface de Sabri Lamouchi (1-0). Les premiers doutes s’installent. « On se dit qu’on peut tout perdre » déclare froidement Frédérick Déhu.
Pour ne rien arranger, quasiment au même moment, en Lorraine, le FC Metz vient d’ouvrir le score face à Lyon et est donc provisoirement premier.
Les Sang et Or ne se laissent pourtant pas abattre et conservent leur philosophie de jeu tourné vers l’avant. À la 25e minute, Tony Vairelles est bien servi dans le dos de la défense. En face-à-face avec le gardien Lionel Charbonnier, il croise un peu trop son tir du droit qui effleure le poteau. Saignant, « Tony Goal » sera à l’origine d’une nouvelle tentative, enroulée cette fois, détournée par le portier au prix d’une belle envolée.
Les occasions affluent pour les visiteurs mais toujours rien.
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À la pause, la frustration à chaud est bien là mais, dans les vestiaires, c’est le retour au calme et à la concentration. « Je n’ai pas senti d’agacement. Il fallait que l’on garde notre sang froid. », assure « Siko’ ».
En seconde période, pas de calcul, il faut avancer et provoquer coûte que coûte cette formation auxerroise. « On était des morts de faim » décrit Tony Vairelles. Sûrement un terme clé pour comprendre les bases de cette équipe. Pour Stéphane Ziani, « cet état d’esprit de battant était le ciment du groupe. »
De retour sur la pelouse, cette mentalité va rapidement payer.
53e minute, Frédérick Déhu est à la baguette dans le rond central. Il raconte pour le club. « Je contrôle, j’enchaîne sur un dribble derrière la jambe et je lance Yo’ Lachor en profondeur, de l’extérieur du pied car il fait la différence avec son appel. » Hésitant d’abord à centrer, le latéral gauche prend finalement le temps d’ajuster sa frappe pour transformer ce caviar (1-1). Son visage est illuminé d’une joie contagieuse. De l’autre côté du terrain, Guillaume Warmuz adresse un cri de rage contenu au public sang et or.
Le Racing tient sa première place et son titre… pour l’instant.
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Les 36 minutes restantes sont interminables. Les Artésiens demeurent fidèles à eux-mêmes et jouent encore crânement leur chance en attaque. Mais la tension sur le banc et dans le virage lensois est terrible. Tout le monde est au bord de la rupture.
Au coup de sifflet final, la délivrance. Éric Sikora tombe dans les bras d’un Guillaume Warmuz à genou. Toute l’équipe les rejoint pour une longue étreinte. « C’est un moment extrêmement puissant » décrit le portier. L’instant est fantastique, unique, indescriptible. « Oh c’était incroyable ! J’ai encore le frisson quand j’y repense », se souvient le président de l’époque Gervais Martel.
C’est l’apothéose d’une saison époustouflante. Même la victoire messine face à Lyon ne change rien puisque le Racing est Champion à la différence de but.
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La fête peut commencer. Dans les vestiaires, bien sûr, mais aussi dans les travées du stade. Mégaphone à la main, Frédérick Déhu célèbre avec les supporters sang et or, en chantant : « Si t’es fier d’être un Lensois frappe des mains ». Un moment gravé dans le marbre.
Quelques heures plus tard, les héros sont accueillis comme des rois à l’aéroport de Lesquin. Joueurs, staff, dirigeants,… tout le monde est congratulé. Gervais Martel n’en revient pas : « On s’est fait porter par les gens. J’ai même failli faire un malaise ! » La nuit ne fait que commencer.
À Bollaert, des milliers de supporters attendent pour célébrer encore et encore. Les cafés et bistrots de la ville sont autorisés à rester ouverts. La soirée s’est poursuivie jusque tard. Une journée infinie, prolongée le lendemain, avec la parade dans la benne du stade à la mairie de Lens. Des images mythiques, reflet des valeurs d’un club qui vient d’écrire la plus belle page de son histoire.
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AJ Auxerre-RC Lens (1-1), 34e journée de Division 1
Mi-temps (1-0)
Buteurs : AJ Auxerre : Lamouchi (13’). RC Lens : Lachor (53’).
AJ Auxerre : Charbonnier (Cool, 28’) – Goma, F. Silvestre, Danjou, Rabarivony – Agbo, Lamouchi, Lachuer (Taino, 78’) – Gonzalez (Compan, 72’), Guivarc’h, Diomède.
RC Lens : Warmuz – Sikora, Wallemme (c), Magnier, Lachor – Déhu, Foe, Ziani – Smicer, Vairelles (Eloi, 46’), Drobnjak (Brunel, 66’).