Publié le 27/12/2019 à 08h50
Découvrez notre rubrique « Point Par Point » qui retrace la vie de nos joueurs. C'est au tour de Cheick Traoré de se prêter au jeu !
« Je suis né à Paris et j’ai grandi à Pierrefitte-sur-Seine. Mes parents sont arrivés du Mali dans les années 80. Mon père était mécanicien et ma mère faisait le ménage. Elle a dû arrêter car elle est tombée malade. Elle a frôlé la mort l’année dernière à cause d’une tumeur. Elle a subi de nombreuses opérations. Ça commence à aller mieux. C’est presque un miracle qu’elle s’en soit sortie.
Je viens d’une famille nombreuse. On a été bien élevés et bien éduqués. On est respectueux mais on ne se laisse pas faire ! De toute façon, dans notre quartier, on ne pouvait pas être une victime sinon on se faisait manger tout cru.
La vie à Pierrefitte-sur-Seine n’était pas facile mais ça m’a forgé et m’a forcé à grandir. Quand on a besoin d’argent et que l’on veut aider sa famille, on peut parfois prendre le mauvais chemin. Quand on faisait des bêtises, les grands du quartier nous faisaient la leçon. Ils étaient derrière nous, ils nous surveillaient, ils partageaient leurs mauvaises expériences pour que l’on ne fasse pas la même chose. Ils nous poussaient à faire du football pour réussir dans la vie. C’était un bon moyen de ne pas être dans les embrouilles.
Au quartier, on était une famille ! Quand quelqu’un était dans le besoin, on l’aidait. A mon étage, on se connaissait tous. Il y avait de tout : des Pakistanais, des Ivoiriens, des Maliens, des Indiens, des Haïtiens. On allait les uns chez les autres même quand les gens n’étaient pas chez eux. »
« J’étais l’un des plus sages de mon groupe de potes. C’est grâce à mes frères qui étaient derrière moi et aux épreuves que j’ai dû traverser. Je n’en parle que très peu car je ne veux pas que l’on me prenne en pitié. Ça fait partie des choses de la vie…
J’avais 15 ans. Je ne sais pas pourquoi, mais ce jour-là je me suis réveillé avec un mauvais pressentiment. Quelques heures plus tard, je revenais du supermarché avec mon père. Personne ne répondait à l’interphone... Après un long moment, mon petit frère est descendu nous ouvrir et nous a appris la mauvaise nouvelle : mon frère aîné Mamadou, 28 ans, venait de mourir le jour de son anniversaire. Tout le monde était en pleurs, même mon père. C’est la première fois que je le voyais comme ça, lui le roc de la famille, lui qui ne montrait jamais ses émotions. J’ai vraiment pris une énorme claque ce jour-là. J’ai réalisé que j’avais deux choix : soit vriller, soit avancer. J’ai accepté et j’ai décidé d’aller de l’avant.
Trois mois plus tard, mon père est décédé d’une crise cardiaque. Mon frère l’a trouvé un soir étendu sur le sol de notre appartement. Il nous a réveillés. Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas faire de massage cardiaque. Ma mère a essayé de le réveiller. On a appelé les secours mais ils n’ont rien pu faire. J’ai essayé de rester fort lors de son enterrement mais je n’ai pas pu retenir mes larmes.
Ma famille et mes amis m’ont aidé durant ces épreuves. La religion aussi. Être musulman m’a permis de garder la foi. »
« A l’âge de 6 ans, j’ai accompagné un voisin au club de foot du quartier de Pierrefitte-sur-Seine. C’est là que j’ai commencé à jouer et j’ai kiffé ! Mon coach Amadou Diaouné dit « Vié » m’a enseigné des valeurs comme le respect, le fair-play, être poli envers les adultes, le personnel du club et les adversaires… Quand on faisait une bêtise, il nous punissait. J’ai d’ailleurs été privé d’un week-end de tournoi international à Nantes à cause de ça. J’étais le seul de mon équipe à ne pas y aller. J’étais dégoûté car mes équipiers ne parlaient que de ça à leur retour.
J’ai ensuite joué de Benjamin à U15 au Paris SG mais je me suis fait virer… [Ndlr, rires] Ensuite j’ai intégré l’équipe d’Arnaud Floresse à Sannois Saint-Gratien. Il était aussi professeur. Il avait l’habitude de gérer des jeunes. C’est à cette période que j’ai perdu mon frère et mon père. Il n’était pas au courant mais il cherchait tout le temps à comprendre ce qui se passait dans ma tête. Il m’a appris la ponctualité et à avoir le sourire même quand je ne jouais pas. On peut être frustré mais il faut tout le temps être derrière son équipe.
A 17 ans, j’ai quitté ma famille, mon quartier et ma région pour Sedan. A la fin du premier jour, j’ai appelé mon frère pour lui dire que je voulais rentrer. Il m’a répondu « Pas question ! ». Mon coach, Sébastien Tambouret, a rapidement remarqué que je n’allais pas bien. Je n’étais jamais sorti de ma cité et je ne me sentais pas à ma place. Je me demandais si tout cela était vraiment fait pour moi. Mais j’ai pris sur moi et on m’a beaucoup aidé. J’ai appris à découvrir les gens et je me suis rendu compte que certains habitaient près de chez moi. Avec mon équipe, on faisait de bons résultats et en dehors on a créé des liens forts. Je suis toujours en contact avec eux.
En 2015, j’ai intégré le SM Caen. Je m’énervais pour un rien. Quand on me faisait une critique, je répondais. Je ne pensais qu’à moi. Mais Greg Proment et Jean-François Pérron m’ont appris à me canaliser et m’ont inculqué de belles valeurs.
Je n’ai pas prolongé à Caen alors que j’avais signé professionnel. J’ai pris ça pour un échec. Mais Alaeddine Yahia a parlé de moi à Jérôme Leroy qui m’a fait signer à Châteauroux. Ils ont tous les deux cru en moi et m’ont énormément aidé.
Avant d’arriver à Lens, j’ai évolué une saison à Guingamp et j’ai été coaché par Antoine Kombouaré puis Jocelyn Gourvennec. Je pensais faire des petites entrées, jouer des matchs de coupes et en CFA pour une première année d’adaptation. Je ne pensais pas avoir le niveau de Ligue 1 mais finalement j’ai eu la chance de jouer tous les matchs de Coupe de la Ligue dont la finale et une vingtaine de rencontres de Ligue 1. »
« Je regarde pas mal de sports à la télévision comme la boxe, le tennis, la NBA. Mais pour rien au monde je n’aurais fait autre chose que du foot. Ça m’a tellement aidé dans la vie ! Si je n’avais pas été footballeur, j’aurais peut-être pris un mauvais chemin. »
« Je souris et je rigole tout le temps. J’ai vécu des moments compliqués et ça m’a fait réaliser qu’il faut profiter de chaque instant car on ne sait pas ce qui peut se passer demain. L’année dernière, j’ai perdu un ami proche du jour au lendemain. Il avait mon âge. La vie ne tient à rien. »
« J’espère aller le plus loin possible dans le football et ça passera par une montée en Ligue 1 avec le Racing. Aujourd’hui, tout se passe bien pour moi. Je joue avec des joueurs que je voyais à la télévision. Et ça, c’est lourd ! [Ndlr, rires] Il y a plein de personnes qui aimeraient être à ma place. Je ne l’oublie pas. C’est pour ça que je profite de chaque instant. Je garde le sourire et j’essaye d’avoir un bon état d’esprit. J’ai la chance d’être footballeur, d’être à Lens, d’être dans une p***** d’équipe, d’être entouré de joueurs de qualité qui veulent mon bien. Pourquoi faire la gueule quand je ne joue pas ? Il y a bien pire dans la vie que de ne pas disputer un match de foot.
On a un effectif de qualité et être dans le groupe c’est compliqué. Alors quand j’y suis, c’est une satisfaction ! Même si je n’entre pas sur le terrain, je suis derrière mes équipiers. J’essaye de les aider malgré mon jeune âge. Je n’ai pas une âme de leader mais je veux rendre ce que l’on me donne. Les anciens de l’équipe nous conseillent tout le temps nous les jeunes. Ils veulent nous aider. On les respecte et on veut faire les choses bien. »