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Publié le 05/12/2023 à 11h41

91 ans et autant d’histoires à raconter sur la mine. Tout comme son père, Maurice Dupont a connu la vie au fond du trou durant de nombreuses années. À la différence, qu’il n’a jamais été atteint de la silicose, maladie chronique due à l'inhalation de poussière de silice cristalline. Entre sacrifice, peur et espoir, le jeune galibot qu’il était à ses débuts a pris sa revanche en entrant à la direction générale du bassin du Nord-Pas de Calais de Douai en fin de carrière. Son récit, il le conte sans compter, toujours dans le but de porter un message louable et honorable : celui de rendre un hommage aux mineurs oubliés, victimes de la silicose, à travers une stèle qu’il aimerait voir s’élever à Lens…

1932, Calonne-Ricouart. Dès sa naissance, Maurice Dupont est baigné dans le monde des mineurs. Son père, son frère – de 4 ans son cadet -, ses voisins… tous connaîtront la vie dans les mines. À la maison, le quotidien est compliqué. Alors que Maurice vient au monde, son père est déjà gravement atteint de la silicose, après 18 ans dans les mines. « Enfant, je m’approchais de lui pour chercher un peu de tendresse. Je posais ma tête sur sa poitrine et j’entendais un bruit comme un craquement. Il toussait souvent, maman pleurait souvent. »

Une épreuve qui s’est obscurcie avec le temps et qui l’a profondément marqué. « Son état s’est aggravé. J’ai une image qui me vient à l’esprit pour exprimer ce qui lui arrivait. Trempez une éponge dans un sceau de ciment, remontez-la et voyez-la durcir. C’est exactement la même chose avec les poumons. Il ne pouvait plus s’allonger et devait donc dormir assis. »

Avec le physique, le caractère du père a changé, se confie gravement Maurice. « Il est devenu de plus en plus aigri. Preuve de sa détresse, il faisait n’importe quoi pour tenter d’aller mieux, comme avaler des limaces vivantes, cela graisserait soi-disant les bronches et le soulagerait. Autour de lui, il voyait ses amis mourir. La mine l’a achevé. Il est parti d’une agonie atroce. »

UN SACRIFICE INÉVITABLE

Au courage. Le manque d’argent se faisant, avec un père malade, une mère démunie et un jeune frère, Maurice prend une décision douloureuse et se tourne vers la mine. « Dans tous les cas, j’aurais été au puits. Lorsqu’un enfant atteint ses quatorze années, un garde des mines passe dans les maisons pour « rappeler » qu’il doit travailler au fond. On savait très bien que l’on ne pouvait pas refuser, de peur des représailles comme être mis à la rue ou voir son père affecté à une mission encore plus pénible. »

« ON NOUS APPELAIT PAR NOTRE MATRICULE »

C’est donc très jeune, à l’âge de 14 ans, que Maurice a été embauché à la fosse 5 d’Auchel. Une embauche facilitée par des « critères » simplifiés. « Le charbon était la seule richesse de la région, chèrement exploitée. En manque de main-d’œuvre, tout le monde pouvait être recruté. Tant que l’on avait deux jambes, deux bras et à peu près toute notre tête, on était pris d’office. » Le seul obstacle à un sombre avenir était la tuberculose…

De 14 à 18 ans, les jeunes mineurs appelés « galibots » étaient formés par un ouvrier plus « expérimenté ». Mais Maurice a suivi une formation accélérée. « Seulement une semaine après mes débuts, durant laquelle je suis resté avec un ouvrier pour réparer le soutènement, j'allais déjà sur le terril, j’étais chargé au tas, je réalisais des tâches éprouvantes physiquement et mentalement. » Après quelques passages à la mine, Maurice obtient son CAP mineur, dans des conditions épouvantables. Il se souvient avec émoi : « On était maltraités, frappés. On avait droit à une amende ou un retrait sur salaire quand le travail était jugé insatisfaisant. On était traités comme du bétail. On souffrait de malnutrition. »

Un destin auquel il était difficile d’échapper. « À tour de rôle, on se blessait volontairement pour avoir un peu de répit. »

DU FOND à LA surface

Suite au décès de son père, Maurice veut s’éloigner de la mine. « Si j’avais continué dans cette voie, j’aurais sûrement eu le même sort, et je ne le voulais pas. » Pour s’en sortir, il prend des cours du soir pour être électromécanicien. « J’étais très attiré par ce domaine. Cela m’a valu d’apprendre à conduire des haveuses (machine qui abat le charbon, ndlr). C’était mieux que de faire du charbon… » Avec cette nouvelle compétence développée pendant plusieurs années, et approchant de la retraite, celui dont « personne ne connaissait le nom » dans la mine, devient « Monsieur Dupont ». « Peu avant 1969, j'ai intégré la direction générale du bassin du Nord-Pas de Calais et je suis devenu agent de liaison itinérant de la Documentation Technique-Documentation Générale, auprès des sièges à Douai. »

« Mineur, ce n’est pas un métier. C’est un travail de bagnard. » Aujourd’hui, tel est le constat de Maurice. À travers son regard azur, l’ancien galibot ne garde en mémoire que la partie tragique de son histoire. « À tel point que j’ai brûlé mes vêtements de fosse après ma retraite. Cela me faisait trop penser à mon père qui a souffert, à ma mère partie d’épuisement à 54 ans et à mon frère totalement invalide à 49 ans. »

De cette dure expérience, Maurice tire une force qui lui permet de témoigner et de perpétuer ce devoir de mémoire. « Je dis aux jeunes qu’ils ont de la chance que les mines soient fermées. »

hommages aux mineurs

Si elle a récemment été fêtée à Bollaert-Delelis, la Sainte-Barbe prenait une tout autre dimension en 1946 : « C’est la seule Sainte-Barbe que j’ai passée au fond de la mine. Alors que l’on était à 534 mètres de profondeur, toutes les machines se sont subitement arrêtées. Les houilleurs se sont tournés vers moi : « Allez tcho, monte avec nous ! ». On s’est réfugiés dans un endroit « protégé » pour manger quelques gâteaux et trinquer. »

Pour eux…

40 000 morts de la silicose, un chiffre largement sous-estimé. Pour achever son récit poignant, Maurice livre son plus grand souhait : « On a oublié de nombreuses victimes des mines, que ce soient de morts de la silicose ou d’accidents de la mine. J’aimerais qu’une stèle soit installée au Louvre-Lens en hommage à toutes les victimes des mines, de 29 nationalités différentes dans le Pas-de-Calais. C’est un projet pour toute la France ! Des visiteurs de tous horizons viennent au musée et pourraient se recueillir.

Le lieu où se situe le musée est tout un symbole. À cet endroit, il y avait la fosse 9 de Lens. Elle a été rasée après l’arrêt de l’exploitation du charbon car le gisement était épuisé. On a récemment fêté les 10 ans d’inscription à l’UNESCO et la Sainte-Barbe en même temps, il y a donc un lien fort avec la mine. »
 

rclens.fr