Pour ce nouvel épisode d'Entre Les Lignes du mois de juin, c'est le défenseur lensois Jean-Kévin Duverne qui nous confie son histoire…
C'est le 12 juillet 1997, dans le 19e arrondissement de Paris, que Jean-Kévin Duverne est né. L'Haïtien a grandi à Epinay-sur-Seine aux côtés de sa mère, nourrice, de ses deux frères Emmanuel et Harley, et de sa soeur Prescillia, mais aussi de ses cousins, dont Jeff qu'il considère comme son grand frère. Après avoir quitté très tôt le cocon familial, JK' était surtout proche d'Emmanuel quatre ans de moins que lui. Quant à son père, il n'a pas grandi avec. Un manque fortement ressenti pour le jeune garçon : « J'ai beaucoup pleuré son absence. Ça me faisait mal quand je voyais mes amis avec leurs deux parents. Mais ma mère me disait d'être fort ! C'est ce que j'ai fait, pour moi et aussi pour elle car elle devait endosser le rôle des deux parents. Ça devait être difficile ! » Reconnaissant, Jean-Kévin est prêt à tout pour elle. Il y a d'ailleurs une phrase d'un rappeur de sa cité, Hornet la Frappe, qui l'a particulièrement marqué : « Ma famille, je l'aime, je la protège. C'est moi l'aîné. ».
Avec sa maman, Emmanuel et Prescillia
Fier de sa ville, il est tout de même conscient de la difficulté de vivre dans un quartier comme celui d'Epinay-sur-Seine. « C'est la loi du plus fort. Là-bas, il ne faut pas pleurer. Les grands t'inculquent ça dès ton plus jeune âge. Si tu ne tiens pas dans ce quartier, on te fait la misère. » Et Jean-Kévin a su être fort mentalement. Grâce à cela, il peut être fier de son groupe de potes... dont il est encore très proche. 20 après ! « On est quinze amis. On ne s'oublie pas. Je vais les voir de temps en temps, même si c'est compliqué mais on reste constamment en contact grâce aux réseaux sociaux. Quand je suis avec eux, je me sens bien. Rien n'a changé avec Nacime, Aristote, Abel et les autres... »
Jean-Kévin se souvient du jour où des amis et lui devaient aller faire un test de foot au Val d'Argenteuil : « Tout le monde avait son ticket de bus, sauf mon pote Gagny et moi… On a dû frauder mais je n'étais vraiment pas bien. Au bord des larmes ! » rigole-t-il.
A l'âge de 10 ans, ses amis Salamou et Gagny lui ont présenté l'entraîneur du club d'Epinay Roland Pacome Ossouho. « J'ai fait un entraînement et le coach m'a demandé de m'inscrire. » Huit belles années attendait Jean-Kévin, rythmées par la rencontre d'Arsène Aké ancien conseiller à Epinay qui porte dans son coeur. C'est là que JK' a fait ses premiers pas de footballeur en tant… qu'attaquant. Un poste que l'on ne lui connait plus aujourd'hui. Quelques années plus tard, « Marc Westerloppe et Reda Hammache m'ont repéré à Clairefontaine. » A partir de là, tout est allé très vite. Alors qu'il n'avait que 13 ans, Jean-Kévin a dû quitter sa famille, son quartier et ses potes pour s'installer à La Gaillette. Le changement d'environnement n'a pas été simple au début. « A Epinay, ça bougeait pas mal. Ici, c'était calme. Quand tu entres en centre de formation, tu fais beaucoup de sacrifices. Tu es en internat, tu es loin de ta famille. Tu ne vois presque plus tes amis. Tu n'as plus que le foot et l'école en tête. Je ne rentrais chez moi que pendant les vacances. » Pas vraiment passionné par les études, il est quand même allé jusqu'au Bac, qu'il n'a malheureusement pas obtenu. « J'étais focalisé sur le foot. » Repéré en tant qu'attaquant, c'est à Lens qu'on l'a repositionné. « J'ai commencé attaquant parce que je n'aimais pas défendre. J'étais un gros flemmard et j'aimais toucher le ballon. Je n'étais pas très technique mais je courais vite et je marquais des buts. A force de jouer, j'ai acquis des compétences. » Ses entraîneurs l'ont ensuite replacé milieu droit, puis arrière droit, avant qu'il ne se révèle complètement au poste de défenseur central « Ça s'est fait tout seul. Je n'étais pas mauvais en arrière droit mais je me sentais plus à l'aise dans l'axe. ».
Dans les couloirs du centre de formation, c'était bon enfant et Jean-Kévin y a vite pris goût. « Pour réussir, il ne fallait pas rester dans son coin. De toute façon, il y avait une bonne ambiance et c'était trop bien avec les jeunes du centre. » Les bons moments, il peut les remémorer avec son équipier Jean-Ricner Bellegarde avec qui il a grandi à La Gaillette et qu'il connaissait même avant d'arriver ici. « Il habitait juste à côté de chez moi. Quand on était petits, on jouait souvent l'un contre l'autre. En plus, on est deux Haïtiens, ça ressert encore plus les liens. »
Les années au centre de formation lui ont permis de rencontrer de nombreuses personnes et de se faire de nouveaux amis. Il retiendra particulièrement sa complicité avec Abel Gomes, un ancien joueur du club avec qui il a immédiatement sympathisé. « On s'est rencontrés en 3e. J'étais le seul noir de l'équipe. J'étais content quand je l'ai vu arriver. » explique-t-il en rigolant. « Il a débarqué avec une vielle console de jeux grise toute cassée avec du scotch derrière. Ça m'a bien fait rire. Depuis ce jour, c'est mon frère. » Ils ont partagé leur chambre mais aussi leurs bêtises de jeunesse. Il se souvient également avoir fait la passe décisive sur le premier but d'Abel sous les couleurs lensoises. « Malheureusement, il n'est plus au club. Il travaille maintenant. C'est un gros regret qu'il ne soit plus avec moi. On ne se voit plus souvent mais on se parle encore beaucoup. »
Ses amis lui ont fait découvrir le football mais aussi l'Islam. Pratiquant depuis ses 17 ans, il s'est converti en 2017, tout comme sa femme Magaly. « J'y pensais depuis longtemps, je trouvais que c'était la bonne voie et que les valeurs d'entraide et de droiture me correspondaient. Je sais que j'ai fait le bon choix ! Dieu me donne des choses, bonnes et mauvaises, mais je l'accepte. Ce n'est que du positif pour moi ! »
Jeune homme accompli grâce à la religion, il l'est aussi à travers sa femme, rencontrée dans son quartier à Epinay, et ses enfants Kenzo et Kaëron. « A seulement 17 ans, je trouvais ça difficile de devenir père. Surtout que j'étais au centre et ma femme et mon garçon étaient à Epinay. » Finalement, ils se sont installés ensemble il y a deux ans.
De nature calme et réservée quand il ne connait pas quelqu'un, Jean-Kévin est un adepte de jeux vidéos et de basket, à regarder ou à pratiquer. « J'aime bien l'attitude des basketteurs de NBA, un peu arrogante, comme celle de James Harden. Ils ont du flow. Au foot, tu n'as pas le temps de chambrer tes adversaires, tu te fais rapidement rentrer dedans. Le basket, c'est du spectacle. ».
Paradoxe. Le défenseur n'aime pas rester scotché devant sa télévision pour regarder des matchs de football : « A la base, je n’aime pas regarder le football. Si un match passe à la télévision et qu'il y a des buts, je vais m’y intéresser, sinon je ne vais pas le suivre. Par contre, quand j'étais jeune, j'étais fan de Thierry Henry. En plus il porte le même nom que ma mère. Je disais que c’était mon tonton [Ndlr, rires]. Alors que pas du tout, je ne l’ai même jamais rencontré. J’aimais beaucoup aussi Ronaldinho.»
JK' aime s'entourer des personnes avec qui il se sent bien : « Ma femme et mes enfants bien évidemment mais aussi mes beaux-frères Patrick et Jérémy et mes deux agents en qui fait confiance. » C'est d'ailleurs avec sa famille qu'il s'imagine après sa carrière de footballeur. « Je me vois posé chez moi à fumer un petit cigare devant la télé, à regarder mes enfants grandir. J'espère que j'aurai vraiment tout fait pour eux. Ce serait une réussite ! » Et s'il devait choisir une reconversion : « Je pourrais rester dans le milieu du foot, par exemple agent de joueur. »