Découvrez notre rubrique « Point Par Point » qui retrace la vie de nos joueurs. Ce mois-ci, c’est El Hadji Ba qui s’est prêté au jeu !
« J’ai une grande sœur de 27 ans, un petit frère de 21 ans et une petite sœur et un petit frère de 17 ans qui sont jumeaux. Avec les petits, j’ai le rôle de grand frère. Avec les autres, on est un peu plus proche. On s’entend tous bien, tout le monde respecte tout le monde. On a tous réussi, en tout cas les 3 grands car les jumeaux sont encore jeunes. Ma sœur est ingénieur à Air France et mon frère est footballeur professionnel à Doxa Katokopias à Chypre. »
« Je suis né à Paris et j’ai grandi à Aulnay-sous-Bois dans la cité des Etangs. C’est un quartier difficile de France. La vie y est totalement opposée de celle que je mène à Lens. Les problèmes ne sont pas les mêmes. Les joies ne sont pas les mêmes. C’est un milieu difficile où il n’y a que les durs qui résistent. Il faut s’imposer. Sois tu es un loup, sois tu es une brebis. Il y a des bagarres, des embrouilles, ce genre de choses. Mais je pense que c’est enrichissant. Tu as des problèmes tôt, tu vis des choses qui te forgent un caractère.
La cité a aussi de bons côtés comme grandir en groupe. L’esprit de fraternité m’a beaucoup aidé. Quand j’étais petit, je jouais au foot avec mes amis en bas du quartier. On était 25-30 de la même génération à en faire. Ça nous a rapprochés.
J’étais un enfant respectueux et tranquille. C’était difficile d’avoir des problèmes avec moi, même si je me suis déjà battu. Je n’étais pas un bagarreur, je ne cherchais pas l’affrontement. Seulement quand il y avait un problème, je me battais et je n’avais pas peur. Dans une cité, se battre, ce n’est pas mal. C’est une façon de régler les choses. Ce n’est pas méchant.
Quand on est petit, on se bat puis on se boude pendant une semaine et après on rejoue au football ensemble. Mais en grandissant, ça va plus loin.
En tout cas, je ne faisais pas partie des brebis. J’ai souvent traîné avec les loups mais j’étais le plus gentil. »
« Beaucoup de personnes avec qui j’ai grandi sont en prison ou en ont fait. Quand j’étais en centre de formation lorsque j’étais adolescent et que je rentrais chez mes parents, j’entendais des histoires de « untel a tiré sur untel ». Au centre de formation, les problèmes, c’était d’être en retard…
J’ai eu la chance de baigner dans ces deux mondes et de pouvoir m’adapter. Aujourd’hui, pour me choquer, il faut y aller. J’ai tout vu : des gens tirer sur quelqu’un, des armes, etc… Quand tu viens d’une cité, tu n’as pas le même recul sur la vie. Ça fait relativiser et tu es plus tranquille.
Depuis que je suis petit, sans me vanter, je suis assez intelligent et je sais faire la part des choses. C’est mon père qui m’a inculqué cela. Je savais me mettre en « mode Le Havre » quand j’étais au centre de formation. Les gens ne savaient pas ce que je vivais chez moi. Je ne racontais pas ce que je voyais ou ce que je savais de la cité. Je ne voulais pas m’en servir pour me mettre en avant par exemple. D’ailleurs, ce que je raconte dans cet entretien, peu de personnes le savent. »
« Je n’aimais pas les cours de français car je trouvais que les profs faisaient un peu trop à leur sauce. C’était trop subjectif à mon goût. Alors qu’en histoire, c’était basé sur des faits réels. J’aimais bien aussi l’EPS et les mathématiques jusqu’à ce que je doive faire de l’algèbre. Franchement, des lettres dans des maths… [Ndlr, rires] Je n’ai pas eu mon BAC car à cette époque, j’étais en Equipe de France de jeunes et je disputais l’Euro. J’essayais de rattraper les cours mais ce n’était pas facile. Je compte bien le repasser dans quelques années ! »
« Lorsque j’étais enfant, même si l’on ne manquait de rien, je voyais mes parents se saigner au travail et je ne comprenais pas pourquoi ils n’avaient pas un niveau de vie à la hauteur de ce qu’ils méritaient. Ils envoyaient beaucoup d’argent à notre famille au Sénégal. C’était incroyable. Là-bas, il n’y a pas les mêmes avantages qu’en France. Si tu es malade et que tu n’as pas d’argent, tu ne te soignes pas et tu espères que ça passe tout seul… Quand tu entends qu’un membre de ta famille est décédé parce qu’il n’avait pas d’argent pour se soigner, ça choque, surtout quand tu es petit.
Je m’étais investi d’une mission : réussir dans la vie pour que mes parents soient bien. Quand j’ai commencé le foot à 5 ans, j’avais conscience que j’étais bon et que je devais devenir pro pour aider mes parents. C’était mon but !
C’est d’ailleurs mon père qui m’a poussé vers le football. Quand on allait au parc, il me voyait courir vite et conduire la balle malgré mon jeune âge. Il m’a suivi dans mes débuts, jusqu’à ce que je parte au Havre à 13 ans. Je ne pense pas qu’il était motivé par ma réussite dans le football. C’était plutôt un moyen de m’éloigner des mauvais côtés de la cité pour que je ne tourne pas mal. »
« J’ai commencé le foot à l’âge de 5 ans au CSL Aulnay, le club de quartier d’Aulnay-sous-Bois. Mais je ne pouvais pas m’inscrire car il fallait avoir 6 ans. Je ne faisais que les entraînements mais aucun tournoi. Le club se trouve au centre de toutes les cités d’Aulnay-sous-Bois. Ça permet aux enfants de se côtoyer alors qu’avant chacun restait dans son quartier. Tout le monde connait tout le monde et je pense que le fait qu’Aulnay soit plus tranquille maintenant, c’est grâce au football. Le foot, ça réunit ! On l’a vu il y a quelques mois quand l’Equipe de France a gagné la Coupe du Monde. Il n’y avait plus de racisme, plus de différence… Tout le monde était ensemble. C’est beau et il faut le rester.
Aujourd’hui j’ai croisé à La Gaillette un petit de ma cité. Ça me fait plaisir car on voit que de plus en plus de jeunes des cités vont dans des centres de formation. Quand ils y retournent, ils donnent une bonne image et leurs amis vont vouloir se rapprocher de la réussite de ce joueur. Ça réunit les gens dans le bien. »
« Mes parents ne voulaient pas que je reste à Aulnay. Ils pensaient même m’envoyer en pensionnat, pour être loin de la cité. Quand j’ai appris ça, j’ai fait une grosse saison. J’étais le meilleur. J’étais vraiment focalisé sur le foot. C’est comme ça que j’ai été repéré par Le Havre. Je préférais partir en centre de formation plutôt qu’en internat.
J’aimais vraiment le foot donc c’était cool de partir loin. Je connaissais mes qualités et je savais que je pouvais faire de bonnes choses. Le fait d’avoir toujours été surclassé dans les catégories de jeunes m’a aidé. Ça m’a donné confiance car je me disais que si je jouais avec les plus grands, c’est que je n’étais pas mauvais. Mes coachs ont été importants dans ma progression. Ils m’ont poussé pour tout donner.
J’ai eu la chance de côtoyer d’autres joueurs qui venaient de Paris. Paul Pogba, Benjamin Mendy, Prince Gouano… On est tous arrivés en même temps. On avait la même culture, la même mentalité. Je n’étais pas dépaysé. C’est ce qui m’a permis de me sentir comme chez moi. J’y suis resté de 14 à 19 ans. J’y ai fait toute ma formation avant de partir en Angleterre car j’avais quelques soucis avec les dirigeants havrais de l’époque. L’opportunité à Sunderland s’est présentée donc j’y suis allé. Je considérais cela comme une évolution. »
« Je suis content du parcours de Paul Pogba et de Benjamin Mendy, d’autant plus que ce sont de bons gars. En tant que musulman, je suis convaincu que l’on a tous une destinée. Parfois, il y a des maux qui nous arrivent mais c’est pour notre bien. Si j’avais réussi plus tôt, peut-être que je n’aurais pas été prêt mentalement et que j’aurais dévié et fait n’importe quoi. Je le prends dans ce sens. Je ne suis vraiment pas envieux ou jaloux de qui que ce soit. Je me concentre sur moi. Je sais que j’ai perdu du temps mais est-ce-que je n’ai pas gagné quelque chose d’autre de plus important ? Il y a beaucoup de choses que l’on ne sait pas. »
« Quand j’étais enfant, j’étais beaucoup plus nerveux. Je n’aimais pas perdre et quand quelque chose m’énervait je pouvais monter très vite dans les tours. J’ai beaucoup travaillé sur moi pour être plus calme. Aujourd’hui, je trouve que je suis un peu trop calme même. Je relativise beaucoup. C’est peut-être dû à la religion. En grandissant, je me suis impliqué dans l’Islam. Ça m’a permis de me canaliser. »
« Mes grands-parents m’ont appris très jeune les principes de la religion quand j’allais les voir au Sénégal. Quand on nait musulman, on pratique étant jeune parce que l’on voit les autres le faire tous les jours. A 13-14 ans, je me suis vraiment posé des questions, le pourquoi du comment. C’est là où j’ai décidé de vraiment y croire. La religion, c’est ma base. Ça passe avant tout. Je ne suis pas le plus parfait du monde, loin de là. Je fais beaucoup d’erreurs mais j’ai une conscience religieuse. Je sais quand je fais quelque chose de bien ou de mal. J’espère que je finirai ma vie en ne faisant que du bien. »
« Je vais souvent au Sénégal et j’y suis très attaché. J’ai de la famille là-bas. C’est un pays qui respire le football. Les jeunes aiment beaucoup ce sport. L’équipe nationale est la meilleure du continent africain cette année. En toute objectivité ! [Ndlr, rires]
Dans mon quartier au Sénégal, on me connait depuis tout petit. Quand j’y retourne, on me voit comme le petit El Hadji qui a grandi ici, plus que comme le footballeur. Mais mes petits cousins sont un peu choqués de me voir à la télévision et aussi en vrai. »
« J’ai appris à canaliser ma nervosité et je m’en sers quand je suis sur le terrain. Avant le coup d’envoi d’un match, je pense à tout ce qui m’a énervé, tout ce qui ne m’a pas plu, à des choses négatives… et je transforme ça en énergie pour être déterminé. Après je me sens bien. Le match de foot, c’est un peu mon combat de boxe. Certains ont besoin d’amour pour jouer au foot mais moi quand je suis trop bien ce n’est pas ce qui est le mieux pour moi. J’ai besoin d’avoir la rage pour courir, pour récupérer le ballon, pour tacler… ça me stimule. »
« Dans un futur proche, je veux que l’on monte en Ligue 1 avec le RC Lens. C’est mon premier objectif. Ensuite, faire une bonne carrière dans le football, monter le plus haut possible, vivre des choses magnifiques dans mon métier. J’ai de petites idées pour ma reconversion après ma carrière, mais je saurai vraiment ce que je ferai le moment venu. »